jeudi 8 novembre 2012

Rencontre avec Michael Coats, Commandant de la navette spatiale et Directeur du Johnson Space Center de Houston


Michael Coats est pilote d’essais de l’US Navy.

 
Il est sélectionné comme pilote par la NASA en 1978 dans le groupe 8.

Il effectuera 3 missions spatiales : STS-41D en tant que pilote et les missions STS-29 et STS-39 en tant que Commandant.
Il quitte la NASA en 1991 pour travailler dans le secteur privé (notamment chez Lockheed-Martin) puis, revient à la NASA en 2005, où il est depuis, le Directeur du Johnson Space Center à Houston.

Entretien réalisée à Houston en septembre 2012.

 
Pourquoi avoir voulu devenir astronaute ?

Au début, je ne savais pas vraiment si je voulais être astronaute. J’étais pilote d’essai dans la Navy et j’étais vraiment heureux d’être dans la Navy. De plus, j’étais instructeur à l’Ecole des Pilotes d’essais de la Navy à Patuxent River dans le Maryland. Que demander de plus ?! … (Rires).

J’ai vraiment hésité. J’avais un job sympa, ma femme n’y tenait pas, et je ne m’étais jamais vraiment posé la question. J’ai quand même envoyé ma candidature auprès de la Navy *.

Mon dossier a été sélectionné et je suis parti aux entretiens à Houston au JSC sans réelles convictions. Mais, une fois arrivé, et surtout après avoir discuté avec des astronautes, des ingénieurs, des employés, etc… j’étais littéralement emballé. Tout le monde adorait travailler ici. Alors je me suis dis pourquoi pas moi. Et l’idée de la sélection s’est de plus en plus ancrée dans mon esprit …

… Tellement emballé par tous ces gens, que vous êtes leur directeur aujourd’hui

… Oui, oui, c’est ça (Rires)…. Après avoir vu toutes ces personnes qui adoraient leur boulot, je voulais en être aussi. On parlait de la navette spatiale qui devait décoller dans les trois - quatre ans qui viennent, et pour un pilote comme moi, c’était vraiment un challenge que je voulais relever. C’est à Houston que j’ai vraiment voulu devenir astronaute…

… Et vous avez été sélectionné …

… Oui ! On m’a téléphoné et annoncé ma sélection. Je m’en souviendrai toujours ! C’était le 16 janvier 1978 !!!

Pourquoi cette date ?

(Avec un grand sourire et un clin d’œil) C’était le jour de mon anniversaire … un vrai super cadeau !
(Présentation des 35 nouveaux astronautes du Groupe 8 en 1978 et leur logo)

 
Quels souvenirs avez-vous de votre formation, de votre entraînement ?

Travail, travail, travail (Rires). On travaillait sur un programme nouveau : la navette spatiale.

Nous étions aussi très nombreux dans notre groupe et de qualifications diverses (35 sélectionnés = ndlr). Cela a été très enrichissant.

En tant que pilote, à quelles tâches étiez-vous assigné avant votre premier vol ? Avant même le premier vol d’une navette spatiale ?

Nous avons travaillé très dur pouret sur la navette.
J’ai été assigné au Shuttle Avionics Integration Laboratory – SAIL,  ici à Houston (Département où l’électronique de vol et de bord de la navette était entièrement simulé pour les missions. Un département clé du programme navette = ndlr).

Nous y travaillions 7 jours 7 et 24 heures sur 24. Beaucoup de travail, mais cela a été très fun…Puis surtout, nous participions à la préparation du premier vol d’une navette.

 
Revenons un peu à la mission STS-41D. Quelles ont été vos impressions au moment du décollage ? Etiez-vous nerveux, anxieux ?

Pas vraiment anxieux. Un peu nerveux peut-être… mais surtout content de partir ! Oh oui ! Je me souviens m’être dit : (Rires) Enfin, nous sommes partis’’ (Rires)…

 
C’était votre 4ème tentative …

… Yes !

Racontez nous ce premier lancement reporté… enfin le deuxième, celui du 26 juin 1984.

Bien. Bon, c’était déjà le  premier vol de Discovery. La veille, le lancement avait été reporté à cause d’un problème d’ordinateur.

Le lendemain, nous sommes prêts à décoller. Nous sommes attachés, le compte à rebours s’égraine. Nous sommes à T-6 secondes. Et le premier moteur se met en route. Nous avons entendus la mise à feu. La navette a commencer à bouger, à vibrer. Il y a un mouvement d’avant en arrière et nous l’avons bien senti … Nous sommes prêts, cette fois, c’est bon…

Puis, plus rien. Tout à coup un silence absolu… plus un bruit !

Pendant quelques secondes, mais cela m’a semblé une éternité, on se tait … on entend juste la radio et le contrôle mission, mais on y fait pas attention.

C’est Steven (Hawley) qui rompt le silence avec une réplique devenue culte pour nous : ''Vous savez, je pensais que l’on serait beaucoup plus haut au moment du MECO'' **(sourire)…

 
 
… Il y a eu un début d’incendie, je crois …

… Tout à fait, oui ! Suite au problème du moteur, il y a eu un incendie causé par l’hydrogène, en bas à gauche. Justement du côté de l’écoutille.

Nous avons évacué et pris l’ascenseur pendant que des tonnes d’eau se déversaient au niveau des moteurs. Et surtout, en sortant de l’ascenseur, nous avons traversé un véritable mur d’eau. Nous avions juste nos tenues bleues de vol, pas les combinaisons (les combinaisons LES – Launch and Entry Suit – ne deviendront obligatoires qu’après la catastrophe de Challenger = ndlr).

Et lorsque nous sommes arrivés au véhicule d’évacuation du pad de tir, et bien nous étions plus que trempés… On pouvait nous essorer (Rires en joignant le geste à la parole). Judy (Resnik) a déclaré : ‘’Je ne m’attendais pas à être aussi mouillée après un vol spatial’’ (Rires)
(Crédit Photo : NASA19KSC-84P-256 via Ed Hengeveld)
(Discovery a souffert quand même de quelques dégâts occasionnés par l'incendie)
Après un délai de deux mois, Discovery est enfin prête. Il y a un nouveau report et vous décollez enfin. Quels souvenirs avez-vous de cette première mission ?

Enfin, nous sommes partis (Rires)… Cela a été une mission très intense.
Beaucoup de travail, beaucoup de tâches très denses. Nous avons mis des satellites en orbite, avons mené plusieurs expériences – surtout Charlie (Walker) qui a beaucoup travaillé sur CFES***.
On a même fait des expériences avec du cristal …

(Décollage de STS-41D - Photo prise par l'astronaute John Young à bord d'un T-38)
(Déploiement d'OAST 1)
… Vous avez joué aussi les cameramens pour IMAX…

Oui, oui… c’était marrant de se filmer. C’est surtout Hank (Hartsfield) qui s’est occupé de tout ça. Il y a eu un documentaire avec ces morceaux de films (The Dream is Alive = ndlr).

(Le Commandant Hank Hartsfield chargeant une caméra IMAX)

 
Comment s’est passé le retour et étiez-vous content de rentrer ?

Le retour s’est très bien passé. Content de rentrer, oui. Mais je n’étais pas encore rentré que je voulais déjà repartir.

 
Aimeriez-vous retourner dans l’espace et comment voyez-vous l’avenir du vol spatial ?

Oui, bien sûr. Mais il faut laisser la place aux ‘’jeunes’’ maintenant (Rires).

Vous savez, si je peux faire quoique ce soit pour que quelqu’un aie envie de travailler dans l’espace, pour la NASA, que ce que nous faisons ici l’inspire… alors, je serai heureux. L’avenir du spatial ne se fera que par des gens inspirés et il faut que nous les inspirions…
Je crois fermement que l’homme doit continuer d’explorer l’espace, et aller plus loin qu’il n’a déjà été.

Discovery, vous avez une relation particulière avec elle ? …

(Rires) … Il ne faut pas le répéter … Oui, elle fait partie intégrante de moi … Mes trois vols ont eu lieu avec Discovery… Je ne peux que l’aimer.


(Discovery est depuis le mois d'avril exposée à l'Udvar-Hazy Center de Chantilly en Virginie)
(Michael Coats lors de l'arrivée de Discovery au Udvar-Hazy Center)
Nota :

*    Les militaires sont proposés à la NASA par leur corps d’armes respectif.
**  MECO : Main Engines Cut Off – Coupure des moteurs principaux – signifie l’arrivée en orbite.
*** CFES :  Continouus Flow Electrophoresis System