dimanche 17 avril 2016

Mission Microscope / Interview de Thibault Damour, physicien théoricien


Mission Microscope

Rencontre avec le physicien théoricien 
Thibault Damour


Vendredi 15 avril 2016 s'est tenue au siège du CNES à Paris une conférence de presse sur la présentation de la Mission Microscope. Les principaux responsables et chefs de projet étaient présents.

Voir le sujet complet sur Mission Microscope (cliquez sur ce lien en jaune)

(Crédit : Laurence Honnorat)
Quel est exactement votre travail et pourquoi l’avez-vous choisi ?
Pourquoi avoir choisi de travailler sur la Physique et dans le domaine spatial ?
Je suis physicien théoricien.
J'explore les conséquences de la théorie de la Relativité Générale d'Einstein, et de ses extensions modernes, en particulier les modifications de la Relativité Générale suggérées par la théorie des cordes.
Depuis que j'ai 14 ans, je voulais faire de la physique, et, en particulier, travailler autour des idées introduites par Einstein. C'est mon métier qui m'a choisi plutôt que l'inverse.
J'ai eu la chance de pouvoir vivre ma vocation de jeunesse, et en vivre.

Quel est votre rôle dans la Mission Microscope et depuis combien de temps travaillez-vous sur ce projet ? Pourquoi avoir choisi de travailler sur un tel projet ?
Ce n'est pas moi qui ai choisi de travailler (en partie) dans le domaine spatial.  En 1989, le Principal Investigator (PI) du projet spatial américain Satellite Test of the Equivalence Principle (STEP), Francis Everitt, de l'Université de Stanford (que je connaissais depuis 1974), m'a contacté pour me proposer de faire partie de l'équipe américano-européenne qu'il rassemblait pour proposer le projet STEP comme mission M2 de l'ESA (en collaboration avec la NASA).
Le concept de la mission STEP était essentiellement une version cryogénique de Microscope, visant a tester le principe d'équivalence en satellite, avec une précision de 10^-18.

C'est au cours de l'étude de phase-A de la mission STEP que j'ai rencontré Pierre Touboul. Nous nous sommes liés d'amitié.

Après deux études de niveau phase-A à l'ESA, la mission STEP n'a pas été retenue comme mission M2. Après la considération de divers  avatars possibles de STEP par l'ESA (M3-STEP, QuickSTEP, MiniSTEP, Geo-STEP), qui ne furent pas retenus par l'ESA (ni la NASA), Pierre Touboul et Gilles Métris ont proposé la mission Microscope au CNES en 1997.  

Mon rôle dans les projets spatiaux STEP et Microscope :

Depuis 1989, mon rôle principal a été de réfléchir aux motivations, en physique théorique, pour faire des tests satellitaires, de très haute précision, du principe d'équivalence, et d'expliquer  l'intérêt scientifique de telles missions auprès de plusieurs communautés scientifiques : la communauté des physiciens d'abord, puis les diverses communautés travaillant dans ou pour le domaine spatial.

Du point de vue purement scientifique ma réflexion a conduit à des publications concernant les divers aspects d'une mission satellitaire du principe d'équivalence.

Par exemple les deux articles

 -  The String dilaton and a least coupling principle, par T. Damour et A. M. Polyakov, Nucl.Phys. B423 (1994) 532-558; hep-th/9401069.
 - Runaway dilaton and equivalence principle violations, par Thibault Damour, Federico Piazza et Gabriele Veneziano, Phys.Rev.Lett. 89 (2002) 081601 gr-qc/0204094.

ont montré qu'il était possible, en théorie des cordes, que le champ scalaire supplémentaire appelé "dilaton" puisse, de façon naturelle, causer des violations apparentes du principe d'équivalence à un niveau trop petit pour avoir été vu dans les tests actuels de ce principe, mais assez grand pour être détecté dans une expérience spatiale de haute précision.
Ces travaux montraient qu'une mission comme Microscope  était une "fenêtre" sur les théories
unifiées de la physique allant au delà de la Relativité Générale, comme la théorie des cordes.

A part ces travaux purement théoriques, j'ai aussi travaillé sur des aspects plus pratiques d'une mission satellitaire du principe d'équivalence : comme la forme des masses d'épreuve (voir "Aspherical gravitational monopoles",  gr-qc/9611051), et le choix des matériaux d'épreuve (voir "Testing the equivalence principle: Why and how?",gr- qc/9606080).

Mon rôle actuel dans la mission Microscope est d'être membre, et de co-présider, le Science Working Group de cette mission. Le rôle de ce groupe est (dorénavant) de :

1. Superviser et valider les opérations de calibration de l'instrument en orbite
2. Passer en revue régulièrement les buts scientifiques de la mission au vu des résultats
3. Approuver les données scientifiques finales de la mission
4. Passer en revue l'organisation des archives de données
5. Promouvoir la diffusion de l'information concernant la mission

Quel a été pour vous le plus gros challenge dans ce projet ?
J'ai toujours eu plaisir à accompagner, participer à, et promouvoir les missions STEP, puis Microscope. Le plus gros challenge a sans doute été d'affirmer que la mission Microsope représentait une remarquable opportunité de découvrir quelque chose de nouveau et de profond concernant la gravitation, sans cependant pouvoir chiffrer la probabilité que Microscope trouve une violation du principe d'équivalence.

A titre personnel, aimeriez-vous aller dans l’espace et pourquoi ?
Non !  L'espace me semble être un environnement tout à fait hostile et délétère pour l'homme. Je pense que l'envoi de robots (par exemple sur Mars) est préférable pour explorer le système solaire. En tout cas, je n'ai aucun désir d'aller dans l'espace moi-même.




Crédit : Stéphane Sebile / Spacemen1969
             Space Quotes - Souvenirs d'espace

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