dimanche 14 février 2010

Interview de Joe Engle, pilote du X-15 et Commandant de la Navette Spatiale

Joe Engle, ancien pilote d'essai de l'US Air Force, est un astronaute de la NASA sélectionné en 1966 dans le Groupe 5.
Il a la particularité d'avoir été aussi pilote de X-15 avec lequel il effectuera 16 vols dont 3 ''vols spatiaux'' (Vols X-15 n° 138/143 et 153 en 1965). Il est donc le 1er et le seul homme a avoir été dans l'espace avant d'être sélectionné par la NASA comme astronaute.
Titulaire du poste de pilote du LEM lors de la mission Apollo 17, il devait être le 12ème homme sur la Lune. Mais il est remplacé par Harrison Schmitt suite aux coupures de budget. Il ne marchera pas sur la Lune.
Affecté au programme ALT-Enterprise, il effectuera 2 des 5 vols d'Enterprise en tant que Commandant. Il commandera 2 missions orbitales de la navette spatiale lors des missions STS-2 et STS-51i.
Il quitte la NASA en 1986.
Interview réalisé en 2002.
Q : Quand et comment vous êtes vous retrouvé pilote d’essai à la base d’Edwards ?
R : Je suis devenu pilote de l’US Air Force à ma sortie de l’Université où j’avais obtenu mon diplôme d’ingénieur en aéronautique. J’aime les avions depuis que je suis tout petit et les avions de chasse, et surtout pouvoir les essayer, me fascinaient énormément.
J‘ai donc opté pour un diplôme d’ingénieur qui était un excellent moyen de devenir pilote d’essai par la suite… J’ai été affecté dans différentes escadrilles avant d’être accepté pour suivre la formation de pilote d’essai de l’USAF (USAF Test Experimental Test Pilot School) à Edwards en 1959. Un de mes rêves se concrétisait… J’ai pu piloter et contribuer au développement d’avions formidables comme la série des F-100, F-102, F-104, F-105, F-106, etc…
La formation durait environ 1 an… Il faut croire que j’ai dû bien travaillé (rires…) car après on m’a proposé de suivre la formation de pilote d’essai aérospatial de l’USAF, toujours à Edwards et dirigé à l’époque par Chuck Yeager, en personne… Le rêve pour un jeune pilote…
Q : Vous êtes ensuite affecté au programme X-15 en 1963. Comment avez-vous réagi lorsque l’on vous a annoncé cette bonne nouvelle ?
R : J’étais tout content, très heureux… Pour moi, personnellement, c’était la reconnaissance de mon travail, mais surtout, c’était la joie de pouvoir piloter l’avion le plus extraordinaire de son temps…
L’objectif de cet appareil était de flirter avec l’espace et d’aller à une vitesse incroyable… Au moment de mon affectation, il avait déjà franchi Mach 5 et Joe Walker venait de faire officieusement un vol spatial… Comment être triste de cette affectation… (rires)
Q : Comment s’est passé votre entrainement au pilotage du X-15 qui diffère énormément de tous les appareils que vous aviez piloté jusqu’alors… ?
R : Outre les nombreux cours de formation au sol concernant l’appareil, ses performances… Bref, les cours de théorie, nous passions énormément, énormément de temps sur le simulateur… Chaque vol était préparé, répété sur le simulateur…
Chaque vol était un vol de recherche, donc ils étaient à chaque fois différents et les répétitions aussi. Puis nous terminions la préparation d’un vol par les phases d’approche et d’atterrissage, sur F-104…
Donc, chaque vol étant préparé, le pilotage n’était pas aussi compliqué que cela (rires…)
Q : Comment répétiez-vous donc avec le F-104 ?
R : Nous devions simuler le plus réellement possible l’approche et l’atterrissage que nous aurions en X-15. Vu que le X-15 atterrissait en planant, nous n’avions pas le droit à l’erreur.
On montait donc à 10 000 pieds (3 km environ) et on sortait tout pour l’atterrissage… Train, flaps, aérofreins. On descendait avec le nez à 30° en l’air par rapport à l’horizon, et on réduisait la puissance moteur d’environ 20-25% afin de coller au plus près aux exigences du X-15… Jusqu’au sol…
Q : Le F-104 était donc utilisé pour la simulation d’approche, mais comment simuliez-vous les vols en haute altitude ?
R : On avait un petit (sourire) avion spécialement transformé pour cela… Le NF-104.
Il s’agissait d’un F-104 sur lequel on avait rajouté un moteur-fusée au-dessus du réacteur…
Cela nous permettait d’atteindre une altitude suffisante pour utiliser le système de jets de peroxyde d’hydrogène, pour le manœuvrer, comme on aurait à manœuvrer le X-15…
De plus, cela nous permettait de simuler notre descente balistique à très haute altitude… Nez en bas, pour éviter trop de frottements, nous descendions ainsi jusqu’à la reprise du contrôle de l’appareil par les commandes classiques…
Q : A quoi ressemblait un vol du X-15 et comment se passait la journée ?
R : La journée était longue, très longue… Elle commençait aux aurores…
Il fallait revoir la mission tous ensemble le matin… Après, il fallait s’habiller et là aussi cela prenait du temps… Ensuite, on montait dans le X-15 puis le B-52 montait jusqu’à la zone de largage… Cela prenait souvent plus d’une heure… heure où vous en profitiez pour passer tout en revue dans la tête, car une fois dans la zone de largage, qui était énorme, on attendait que tout le monde soit prêt (B-52, avions-suiveurs, contrôle au sol, communications, etc…).
Puis, hop… largage… Le vol ensuite durait une dizaine de minutes, mais 10 minutes très intenses… Largage, mise en route du moteur-fusée pendant 90 secondes environ… En fonction du type de vol, soit on montait très haut, soit on allait très vite… Retour dans l’atmosphère, approche et atterrissage… Pour les retours des vols en haute altitude, vu que nous redescendions très vite, nous subissions plus de g que pour les vols dits Haute Vitesse. Vers 25 000 mètres, nous avions suffisamment freinés pour reprendre un pilotage normal…
Q : Parmi vos 16 vols en X-15, dont 3 qualifiés de spatiaux, quel(s) souvenir(s) gardez-vous ?
R : Que des bons (rires)… Notamment mon premier vol à plus de 50 miles où je devenais officiellement astronaute car j’étais militaire, ce qui n’avait pas été le cas de Joe Walker, qui était civil… Un problème avec la verrière de mon cockpit qui a craquée à haute altitude m’a causé un peu de stress mais sinon cela a été une période absolument fantastique…
Quel avion que c’était…
Q : Vous êtes ensuite affecté à la NASA en tant qu’astronaute, ce qui fait que vous êtes devenu le premier homme à avoir été dans l’espace avant d’être astronaute NASA. Comment cela a-t-il été ressenti…
R : Qu’est ce que l’on a bien rigolé… Au début on n’arrêtait pas de me charrier… Mais cela a passé très vite… (rires)
Q : Vous êtes sélectionné en tant que doublure pilote LEM pour Apollo 14, ce qui fait que vous deviez être automatiquement titulaire 3 missions plus tard, du fait des roulements d’équipages. Donc, pour Apollo 17… Mais à cause des suppressions de budget et de la suppression des 3 dernières missions lunaires prévues (Apollo 18, 19, 20), on vous remplace par Harrison Schmitt, car il fallait un scientifique pour la dernière mission. Comment avez-vous vécu cela ?
R : Une réelle catastrophe … (fait mine de se pendre en rigolant)… Non, pas jusqu’à là, mais une énorme déception. Enormément de travail, pour en arriver là…
Mais, bon, j’ai relativisé… A cause de ces suppressions de missions, il fallait envoyer un scientifique sur la Lune… C’était une décision logique…
Puis on ne fait pas carrière en se focalisant sur ses désirs personnels. Le programme Apollo était le travail d’un nombre considérable de personnes, et non autour de moi (rires…).
Q : Vous êtes ensuite affecté au Programme Navette. Vous ‘’qualifiez’’ Enterprise et le concept Shuttle avec Enterprise en effectuant 2 des 5 vols ALT. Le X-15 et les Lifting Body ont participé à la création de la navette spatiale, quelles différences entre la navette et le X-15 lors de la rentrée ?
R : Pour la rentrée, les angles ne sont pas pareils… En X-15, l’angle d’attaque était de 25-28° en rentrée d’atmosphère. On a un angle d’attaque de 40° pour la navette. Et comme la descente en X-15 est plus rapide que la navette, environ 1 minute contre 15 à 20, la rentrée demande plus de précision de pilotage pour le X-15.
De plus avec la navette, on commence la descente à 1,5° de pente puis nous arrivons à un taux de pente de 5-6° lors du passage en subsonique.
Et puis, surtout la navette est plus lourde, plus grande, donc les sensations ne sont pas identiques, tant visuellement que physique.
Q : Vous avez effectué 3 missions spatiales en X-15 et 2 missions spatiales en orbite avec la navette ? Quels souvenirs en gardez-vous ?
R : D’abord, beaucoup de fierté pour le travail accompli… Même si j’avais fait vols dits spatiaux en X-15, les sensations et impressions étaient différentes.
Si je devais retenir une chose, c’est de ne pas y être resté plus longtemps, là-haut… Car lors de ces missions, il y avait tant de travail à faire, expériences, tests, entrainement, etc… que je n’ai pas pu en profiter pleinement…
Je me verrai bien rester là-haut et ne rien faire, si ce n’est flotter…

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