mardi 12 juin 2012

Rencontre avec Robin Walter, auteur de la bande dessinée KZ Dora


Robin  Walter est auteur de Bande Dessinée.

(Crédit : Robin Walter)

Son premier album, KZ Dora (en deux volumes), est inspiré de son grand-père qui a été déporté au camp de concentration de Dora, où furent assemblés les tristement célèbres V2. C’est aussi dans ce camp que travaillèrent les principaux ingénieurs allemands qui contribuèrent par la suite au succès des programmes spatiaux américains et russes.


KZ Dora est édité par Des ronds dans l’O Editions.

KZ Dora a remporté un grand succès auprès des lecteurs.

Le tome 1 a remporté, lors de sa sortie en 2010, le Prix Griffe Noire de la première BD  et le tome 2 de KZ Dora a obtenu le Prix du Public lors du festival de la BD au Bourget en mai 2012 (La BD prend l’air).

Robin Walter possède son blog où vous pourrez trouver d’autres informations sur KZ Dora, son travail et où vous trouverez des liens pour acheter ses albums (FNAC, Amazon, etc...).


Interview réalisée en juin 2012.


Qui êtes-vous et comment avez-vous décidé de faire de la Bande Dessinée votre profession ?

KZ Dora, découpé en 2 albums, est ma première BD.

Avant la sortie du tome 1, en octobre 2010 (le second étant sorti en janvier 2012), j’ai mis plusieurs années à travailler en école de graphisme puis en autodidacte, avant de signer chez un éditeur.
Mais j’avais cette volonté de raconter des histoires depuis tout petit, quand je dessinais des récits pour mon petit frère, qui avait droit à son magazine de BD chaque semaine.

La déportation est très peu représentée, voire quasiment absente en Bande Dessinée, contrairement à d’autres faits de la 2ème guerre mondiale. KZ Dora s’inspire de votre grand-père qui lui-même a été déporté à Dora.
Pourquoi justement avoir pensé à faire de votre premier album l’évocation de cette période ? Pas facile pour un premier album ?

Au moment de me lancer dans cette histoire, Maüs et Auschwitz étaient quasiment les seules bandes dessinées traitant de la déportation. De la Shoah précisément.
Il n’y avait rien concernant la déportation des résistants, ni sur celle des homosexuels ou des tziganes…
Quand mon grand-père a finalement réussi à transmettre ses mémoires de déportation, j’ai découvert ce qu’était le camp de Dora, que je ne connaissais que de nom.

J’ai très vite eu envie de raconter son histoire, mais je mentirai si je disais que j’ai totalement choisi de commencer par cet album.
En fait, ce sujet me tenait tellement à cœur que je préférais me faire la main sur d’autres BD, afin de gagner en maturité de dessin et de narration.
J’ai proposé aux éditeurs quelques projets, en essayant de surfer sur la vague de trucs qui me semblaient bien marcher, mais avec le recul, je me rends compte que je n’étais pas passionné par ce que je racontais, que ce n’était pas assez personnel. C’est assez logique que cela n’ait pas marché.

Quand mon grand-père est tombé malade, cela a déclenché mon écriture sur KZ Dora, et là, le projet a tout de suite trouvé preneur.
Aujourd’hui, je ne regrette vraiment pas cette tournure des événements, bien au contraire je suis ravi d’avoir commencé par cette histoire.


Vous avez suivi les pas de votre grand-père, Pierre Walter. À part ses souvenirs, comment avez-vous procédé pour la reconstitution historique afin de mettre des images dans cette évocation ? Vous êtes-vous rendu à Dora ?

En fait, le point de départ, ce sont les mémoires de déportation de mon grand-père, écrits en rentrant d’Allemagne, pour son meilleur ami et sa fiancée. Après leur avoir fait lire, il les a mis de côté, pour tourner la page.
Face à l’insistance de mon père qui en connaissait l’existence, mon grand-père les a finalement sortis de son coffre pour les 50 ans de mon paternel, voici 15 ans. Après lecture, Il l’a aidé à les rendre au propre, puis les a distribué à toute la famille.

J’ai d’abord lu ses mémoires, avant de participer à plusieurs voyages organisés par l’amicale Dora-Ellrich, accompagnant mon grand-père et d’autres membres de ma famille.
J’ai donc visité les sites de Dora, Buchenwald, Peenemünde, Compiègne… Entourés de plusieurs déportés, toutes ces découvertes ont été poignantes et passionnantes. Durant cette période, j’ai également pas mal lu sur le sujet (Levi, Semprun…)


Le graphisme en noir et blanc est-elle une volonté délibérée de votre part ?

Oui, je voulais garder le noir et blanc. J’ai un dessin qui se tient bien ainsi, avec des aplats de noir, et vu le sujet, il me semblait logique de ne pas mettre de couleur.
La 2nde Guerre Mondiale est d’ailleurs souvent associée au noir et blanc, notamment à cause des premières images télé. Chez Des ronds dans l’O, ma maison d’édition, ils ont eu le même  ressenti.



Pour beaucoup de personnes, Dora évoque le camp de concentration, le camp de travail des V2, et pour d’autres personnes, Dora, évoque les débuts des fusées, du spatial, de Wernher Von Braun et d’autres ingénieurs ‘’célèbres’’.
Comment avez-vous réussi ces concilier ces deux points de vues totalement opposés mais indissociable ?

Quand j’ai découvert Dora, j’ai très vite compris que ce camp, pourtant surnommé « le cimetière des Français », à cause des conditions  inhumaines d’internement et du fait que la plupart des déportés étaient des prisonniers politiques français, des résistants, était bien moins connu que d’autres camps de concentration comme Buchenwald ou Dachau.

Et j’ai compris qu’il y avait une raison à cela : les V2. Les grands ingénieurs allemands ayant travaillé sur les V2, ont en effet eu de brillantes carrières dans les différents programmes aérospatiaux des pays vainqueurs.

Le cas le plus connu, c’est évidemment Von Braun, officier Nazi, faut-il le rappeler, qui est devenu un véritable héros aux Etats-Unis, après avoir envoyé les Américains sur la lune.

Tous les vainqueurs, car les Russes et les Européens ont également récupéré des ingénieurs allemands, semblent s’être mis d’accord, afin de ne pas abîmer l’image de leurs nouveaux héros, pour tenter de laisser dans l’ombre le camp de Dora.

Mon souhait était alors, tout en rendant hommage à mon grand-père, de tenter de participer à la mise en lumière de cette histoire. Comme vous le dites, Dora a été à la fois un enfer concentrationnaire et le début des fusées. En expliquant les origines du camp, j’allais pouvoir associer les 2 éléments.


Pourquoi avoir choisi de raconter le destin de cinq personnages principaux et pas seulement celui de votre grand-père ?

Pour raconter ce qu’était Dora, il fallait que j’explique le point de vue des déportés mais aussi celui des scientifiques et des SS.
Ainsi, sont nés 5 personnages dont l’un a le parcours de mon grand père. J’ai aussi un autre déporté, qui illustre le fait que tous n’ont pas forcément vécu la même chose en Allemagne. J’ai un scientifique de Peenemünde et deux SS, afin de tenter d’expliquer comment et pourquoi on arrive à suivre une idéologie totalitaire.

Je raconte le parcours de ces 5 personnages, sur la période 39-45, qui vont tous se retrouver à Dora.
 Ces 5 personnages sont fictifs mais auraient pu exister. Même pour le personnage de mon grand-père, j’ai dû changer certaines choses par soucis d’équilibre scénaristique.



Quelle(s) a(ont) été les réactions des déportés ou de leur famille à la lecture de votre album ?

Dés le début, j’ai présenté mon projet à l’amicale Dora-Ellrich. Les avis étaient partagés.

Les déportés avaient énormément de mal à imaginer leur histoire en BD. Ces personnes âgées avaient alors une vision de la BD qui s’arrêtait à Tintin, Mickey ou Astérix. Les moins vieux, leurs enfants, connaissaient davantage la BD d’aujourd’hui.

Ce qui les effrayait, je crois, c’était le fait que je raconte le point de vue des SS et que je les humanise. J’ai tout de même assez vite ressenti une réelle attente de la part de toutes les familles de déportés et particulièrement de la mienne, évidemment.

Lors des festivals, je rencontre souvent des gens ayant eu de la famille déportée. Tous sont ravis de découvrir une BD sur le sujet. Les retours que j’ai, de leur part, sont nombreux et sincères. Je reçois de temps en temps des courriers.
L’amicale de Dora-Ellrich mais aussi l’association Buchenwald-Dora me soutiennent.
Les déportés et leurs familles semblent au moins satisfaits du résultat et sont ravis d’avoir un outil pour transmettre leur histoire, aux plus jeunes générations notamment. D’ailleurs, je me déplace dans les écoles, pour présenter ma BD et transmettre cette histoire aux élèves.

Parmi les déportés, il n’y en a qu’un qui avait tout de suite compris l’intérêt d’une BD sur le sujet, c’est Stéphane Hessel (Ce merveilleux bonhomme de 95 ans qui a notamment écrit « Indignez-vous » l’année dernière) qui m’a fait l’honneur de préfacer le premier tome de KZ Dora.
Ce qui est amusant, c’est de voir que le regard sur la BD, des déportés, de ces personnes âgées, a évolué. 

Quel accueil a été fait par le public BD traditionnel ? Et par le monde de la BD en général ?

Le public BD traditionnel ou le monde de la BD en général, a très bien accueilli mon album. Tous ont semble-t-il été sensibles au fait que je racontais l’histoire de mon grand-père.

Et puis, pour beaucoup, je leur racontais une histoire qu’ils ignoraient ou qu’ils connaissaient mal. J’ai même reçu plusieurs prix dont celui du public, au festival BD du Bourget.

Savez-vous quels étaient les sentiments de votre grand-père par rapport à l’exploration spatiale en général, et par rapport aux anciens scientifiques allemands de Dora qui rejoignirent les USA et développèrent ou contribuèrent au développement de ce qui allait le programme spatial américain ?
Certains de ces scientifiques sont devenus ‘’de véritables stars’’ auprès de beaucoup de passionnés de la Conquête Spatiale, notamment Wernher Von Braun.

Dans les écrits de mon grand-père (dont quelques extraits sont publiés à la fin de chacun des 2 albums de KZ Dora), qu’il nous avait distribués, il avait inséré, en plus de quelques documents photo, un échange qu’avait eu un de ses camarades de déportation avec Von Braun.

Ce camarade, suite à un énième reportage télé sur la conquête spatiale, glorifiant l’ancien SS et ne mentionnant aucunement Dora, lui avait en effet écrit, à la NASA, de manière très cordiale, s’étonnant de ces oublis. Von Braun lui a répondu, prétendant seulement découvrir les conditions de travail des déportés. Cela a été sa ligne de défense toute sa vie : Il ne savait pas.

Hors, on sait aujourd’hui que c’était impossible, j’ai moi-même rencontré des déportés qui m’ont affirmé l’avoir croisé plusieurs fois dans le tunnel de Dora, où la misère et la mort étaient omniprésentes.

Cette période de la conquête spatiale semble avoir été particulièrement difficile pour les déportés de Dora et leurs familles, car ils avaient le sentiment qu’on célébrait leurs anciens bourreaux.
Ces ingénieurs étaient tellement passionnés, qu’ils semblaient vivre déjà sur une autre planète, mettant des œillères lors de leurs passages sur la misère qu’ils provoquaient indirectement.


Vous-même, quel regard avez-vous de l’exploration spatiale, par rapport à Dora, à votre grand-père ?

Ce que je regrette, c’est que ces hommes, ces « stars » n’aient pas eu la décence d’avoir des mots pour les déportés de manière significative. S’ils avaient de suite, lors des premiers succès de la Nasa ou des Russes, eu l’intelligence d’en parler, il y aurait eu beaucoup moins de souffrance.
Mais l’Histoire nous a déjà prouvé que les grands ingénieurs n’étaient pas forcément des grands humanistes.
Aimeriez-vous allez dans l’espace et pourquoi ?

Ces grands ingénieurs permettent tout de même à nous autres de faire de sacrés rêves !
Partir à la conquête de l’espace, quelle aventure incroyable !
Et puis, simplement observer la Terre de l’espace, cela doit être un spectacle magnifique, qui doit nous faire prendre conscience de pas mal de choses…

Quels sont vos futurs projets ?

Je reviendrai certainement sur le sujet de la mémoire de la déportation, mais j’ai un besoin de souffler, de traiter de choses plus légères.
Je travaille actuellement sur l’univers du foot, avec l’envie de dénoncer pas mal de choses, mais aussi de briser des préjugés.
L’aspect sociologique m’intéresse pas mal. Je commencerai à communiquer sur ce projet dans quelques mois, sur mon blog. Sinon, j’ai pas mal d’autres projets, mais il est encore trop tôt pour en parler.

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